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1 août 2013 4 01 /08 /août /2013 07:49

 

C’était un vent mauvais, venu de l’Est. Brûlant comme un four, desséchant, irritant, entêtant.

Un vent violent, qui soufflait par bourrasques torrides, secouant les arbres, couchant les herbes, faisant tournoyer les feuilles sèches sur le sol avec un bruit de papier froissé. Même les oiseaux s’étaient tus, cachés on ne sait où.

Un vent méchant, amenant sable et poussière, piquant les yeux et la gorge, faisant crisser les cheveux qui éclataient en étincelles électriques sous le peigne.

Un vent comme un incendie, sa bouche enflammée ne nous laissait aucun répit. Nous recherchions les abris.

Un vent de novembre, annonciateur de la longue saison sèche et qui emportait dans sa course folle mes forces vives, me laissant comme une écorce creuse.

Il s’était abattu sur Siby depuis deux jours, sans discontinuer et sa soif ne s’apaisait pas.

Recluse dans la chambre, je passais des heures d’attente à l’entendre bousculer et malmener ce qui lui faisait obstacle : les volets claquaient inlassablement, les portes tremblaient sur leurs gonds comme s’il cherchait à les forcer. J’avais beau tenter de calfeutrer les interstices, il tambourinait, mugissait, finissait par s’infiltrer. Dans la pièce assiégée, une poudre grise mêlée de particules végétales imprégnait l’air, se déposait sur le lit, les vêtements, et exécutait à terre une valse désordonnée.

Oui, c’était un vent malfaisant, le souffle chargé de germes, de virus. L’eau, l’humidité et la fraîcheur se volatilisaient sous son haleine de feu. Déjà les herbes jaunissaient, les feuilles se racornissaient puis tombaient, ma peau se craquelait.

J’associai la fièvre qui me consumait alors à ses assauts hostiles, et ne me sentis plus de taille à lui résister. Il ne me restait plus qu’à fuir. L’Harmattan me chassait, il m’emporterait loin de Siby…

Texte paru dans la revue "Souffles" en juillet 2013.

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13 avril 2012 5 13 /04 /avril /2012 12:15

    mali-2010-261.JPG

 

 

La première fois que je la rencontrai cela me surprit, puis je n’y fis plus attention : assise dans l’étroite cour, entourée de sa famille, tout en m’accueillant chaleureusement, Aïssa crachait sporadiquement en direction des moutons parqués à côté d’elle. De courts jets de salive, qui ne semblaient nullement offusquer ces paisibles bêtes quand ils atterrissaient entre leurs pattes. Lorsque nous nous trouvions à l’étage, dans le salon, elle se levait soudain pour envoyer un furtif crachat par la fenêtre.

Quand notre complicité fut établie, j’avais fait d’elle quelques beaux portraits avec mon petit appareil numérique, mais en regardant chaque photo, elle s’exclamait : « Je suis trop noire ! ». Pourtant, sa beauté épanouie, son regard franc, son visage lisse tout en arrondi où éclatait un sourire frais et pur, ressortaient parfaitement sur l’image. Je ne parvenais pas à la convaincre que son teint était superbe, elle ne voyait que la couleur de sa peau, bien trop foncée à son goût. Elle se prêtait cependant avec une joie enfantine à ces petites séances photos et disparaissait dans la chambre pour en ressortir très vite, parée de sa tenue traditionnelle préférée et de boucles d’oreilles en or. Les tons vert vif et jaune soutenu lui seyaient particulièrement bien.

Alors que je m’apprêtai à faire ma lessive, elle refusa catégoriquement que je lave mon linge et m’assura que tant que je serais sous son toit, la famille s’occuperait de tout. Ainsi mes vêtements connurent les immersions et les énergiques savonnages dans l’eau du fleuve*, les séchages sur les murs de banco*, épousant leur forme arrondie, tandis que le soleil frappait dur. 

Bien que plus jeune que moi, elle prenait soin de ma personne comme une mère, préparant chacun de mes repas selon mes goûts qu’elle ne manquait pas d’interroger, se lançant même dans des préparations culinaires inconnues - la cuisson du potiron -, s’assurant de mon bien-être, de ma tranquillité, veillant à ce que ses enfants ne me dérangent pas pendant mes temps de repos et d’écriture dans le salon, pliant soigneusement mon linge que je retrouvai empilé sur mon lit, prévoyant toujours deux ou trois seaux d’eau d’avance pour que je puisse me laver et me rafraîchir à ma guise…

En bonne musulmane, elle faisait ses prières quotidiennes, la tête recouverte pour cette occasion d’un tissu noir aux broderies dorées.

Le midi, nous mangions toutes les deux, moment privilégié de discussions douces et calmes où nous construisions notre amitié et apprenions à nous connaître. Notre rencontre s’était faite grâce à un de ces merveilleux hasards dont le voyage est prodigue : connaissant mon rêve de me rendre à Niafounké, un ami de Bamako m’avait tout simplement proposé d’y être reçue par sa première épouse, m’assurant que je m’entendrais bien avec elle. Dans l’intimité du salon - la  grande famille restait dans la cour ou les pièces du bas - je posais à mon hôtesse des questions sur sa vie, son mariage, ses aspirations…, auxquelles elle répondait sans détours. Elle se montrait plus discrète à mon égard, peut-être réfrénait-elle sa curiosité par pudeur et courtoisie, me laissant la liberté d’évoquer ma vie en France si je le souhaitais. Malgré nos différences, Aïssa me respectait et m’estimait, je sentais qu’elle ne me jugeait pas. Nos chemins de vie ne suivaient pas le même cours : elle, trouvant sa raison d’être au sein de la  famille et dans les maternités successives, acceptant avec résignation que son mari - vivant en partie à l’étranger - ne vienne que peu souvent ; et moi, la voyageuse, aux antipodes… Sa tolérance et sa capacité à comprendre l’Européenne que j’étais et qui vivait sous son toit, se démontraient chaque jour un peu plus. 

 

Parfois, le soir venu je la retrouvai dans la cour familiale ou sur la terrasse, assise sur le parapet en pisé, le buste dénudé, ses seins en offrande à la caresse de l’air. Avec un naturel et une innocence qu’aucune Européenne n’aurait pu égaler, Aïssa dans toute sa candeur, laissait la brise nocturne rafraîchir son torse aux formes pleines. Emouvante dans sa simplicité de femme qui sait ce qui est bon pour elle, elle se tenait là, avec la même évidence que je lui connaissais lorsqu’elle était entièrement vêtue. Je m’asseyais à côté d’elle et nous discutions comme à l’accoutumée, Aïssa s’enquérant de ma journée et de mes rencontres. J’admirais son aisance, son authenticité, d’autant plus que ma culture me rendait incapable d’une telle spontanéité : aussi continuais-je d’avoir trop chaud et de transpirer sous mon tee-shirt, sans me plaindre… Cette femme pieuse, qui s’agenouillait sur son petit tapis coloré cinq fois par jour et jeûnait pendant tout le ramadan, savait se métamorphoser en Déesse-Mère. Telle une divinité antique de la fécondité, elle offrait sa poitrine veloutée au scintillement des étoiles…

*sorte de pisé

*il s’agit du fleuve Niger.

Nathalie Saulnier. Texte faisant partie du recueil « Mali, fragments intimes »

Ecrit en décembre 2010 (à mon retour d’un voyage de 3 mois au Mali) et paru en mars 2012 dans Etoiles d'encre, Revue de femmes en Méditerranée numéro 49-50 : Sous le signe du Multiple.

 

 

 

 

 

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19 janvier 2012 4 19 /01 /janvier /2012 13:34

A l’arrière des « maquis  »

 

Le soir venu, l’arrière des « maquis » - ces bars africains où la musique et l’alcool font bon ménage jusque tard dans la nuit - devient le théâtre de basses transactions. Tout un trafic d’intrigues s’y déroule, insoupçonnable de l’extérieur.

Il m’a fallu plus d’un séjour à Ségou et l’intermédiaire de Moussa pour en connaître l’existence. Avec lui, j’osai m’aventurer dans cet envers du décor où nous ne faisions que passer. Brève figuration, bien éloignée des rôles dramatiquement assignés à chacun des personnages croisés.

Le maquis Le Terminus, dont le nom évoquait avec un cynisme effarant ce qu’il était censé occulter, avait pignon sur rue, comme tous les autres.

Après avoir bu une bière, au lieu de prendre l’entrée principale pour sortir, nous traversions le bar et débouchions par un passage situé au fond de la salle, dans ces coulisses qui me stupéfiaient. Lieux tabous, presque irréels dans mon imaginaire, et pourtant si nombreux et si ordinaires à Ségou. La ville en comptait plus d’une centaine, une véritable institution… Je n’étais évidemment pas à ma place en tant que femme, qui plus est Blanche, dans ces déambulations et m’attendais à ce qu’on me dise que je n’avais rien à faire là, ou à ce que les regards croisés deviennent hostiles. Ce ne fut jamais le cas et les salutations s’y échangeaient presque comme ailleurs. Consciente que je frôlais le voyeurisme, je découvrais certaines réalités du  pays, bien éloignées des celles vantées par les guides touristiques… Je suivais donc Moussa, cet ami qui s’avérait un connaisseur averti de ce milieu interlope.

 

Là, des filles aux robes trop courtes et trop serrées, se tiennent, négligemment adossées au mur. Juste à côté, des chambres sordidement alignées. Par la porte laissée ouverte lorsque la pièce n’est pas occupée, on aperçoit un lit semblant dévorer tout l’espace étroit qui vacille sous les reflets verdâtres d’un néon. Dans un coin, une ou deux valises entrouvertes, contenant des effets personnels, complètent le mobilier. Voilà l’antre des « maquisardes », ces dames de petite vertu qui, contre quelques francs CFA, offrent leurs charmes dans l’enfer des arrière-salles. Dans ces cabanes aux toits de tôle, aux murs moisis, aux matelas rances, des hommes entrent, sortent, comme si de rien n’était, impassibles et inconscients. Ici, la misère se vend et le sida s’achète, pour trois fois rien, dans un effroyable négoce. Seuls les visages, qui semblent virer au gris et perdre de leur éclat sous les éclairages blafards, trahissent le naufrage.

Papillons de nuit lourdement fardés, battant tragiquement des ailes entre deux clients…

Fleurs vénéneuses tout en cambrures, préférant oublier que leurs pétales se fanent déjà…

Filles en exil, venues du Burkina, de Côte d’Ivoire…, seules et loin de leur famille, échouées dans un maquis. Pathétiques destinées que celles de ces créatures nocturnes qui, sous leurs pâles étoiles électriques, n’en rêvent pas moins à une autre existence, lumineuse, pleine de rires et d’enfants joueurs.

 

 

 

Nathalie Saulnier

Ecrit en décembre 2010 lors de mon retour du Mali et faisant partie d’un recueil intitulé « Mali, fragments intimes»

Texte paru dans "étoiles d'encre", revue de femmes en Méditerranée, numéro 47-48 de novembre 2011 : Féminin/ masculin. 

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